dimanche 9 septembre 2012

9 : LA ROUTE DE LA SOIE

ET MES AMOURS PERSES !



Après une nuit étoilée et glaciale, nous remontons la vallée de Tach Rabat et arrivons à un camp de yourtes pour alpinistes. Les alpinistes russes, puis ceux d’autres nationalités après 1992, ont été les précurseurs du tourisme dans ce pays, et constituent encore le gros du peloton avec les petits « trekkeurs » comme nous. Mais les agences de voyages organisés et leurs minibus vont bientôt les supplanter, car les conditions matérielles et administratives sont maintenant très favorables. Les touristes qui choisissent cette destination en connaissance de cause apprécient beaucoup les villages de yourtes. 



Les alpinistes sont dans la nature, mais l’intendance est là : énorme camion russe à six roues motrices, sauna de voyage, vaisselle de faïence chinoise décorée, et reliefs de repas gargantuesques dont nous allons bénéficier sans retenue : demi-saucisson et barres de chocolat en particulier. 



 
Le caravansérail de Tach Rabat

En vue du caravansérail, fort à propos, un chameau de Bactriane vient nous saluer civilement alors que nous flemmardons au soleil pendant que la lessive complète sèche au bord d'un ruisseau vif et limpide. Non seulement il est tout à fait placide, mais c’est une véritable peluche tant son pelage est propre, doux et moelleux. Nous avons avec elle, je crois que c’est une chamelle, une impression de familiarité naturelle. Après 24 jours de déambulation à travers les Monts Célestes, nous nous sentons naturalisés kirghizes, pour ne pas dire caravaniers.



 


 

Pour nous accueillir, le dôme de pierre du caravansérail brille au soleil dans un ciel azuréen. De loin, il a une allure mystérieuse renforcée par les incertitudes des archéologues à son sujet. Sa coupole et son porche monumental encadré de tours d’angle ajoutent à son côté énigmatique. Il me vaudra bien des reproches quand je l’évoquerai dans la préface de ce blog, car « on » m’accusera d’être incompréhensible et prétentieux. 

 

Pour être un peu plus clair maintenant : ce monument a subi plusieurs métamorphoses. Bâti sur les fondations d’une église nestorienne, il a fait fonction de caravansérail fortifié puis de prison. Il aurait ensuite servi de mosquée. Enfoui sous terre, il a été redécouvert il y a une vingtaine d’années, et restauré "énergiquement". 

 

Pour être plus précis au sujet de l’église originelle : Nestorius (381-451), évêque de Constantinople, était le défenseur de la doctrine duophysite à l’époque où les dogmes de la religion chrétienne n’étaient pas définis. Cette doctrine affirme qu’en Jésus-Christ deux personnes, l’une divine, l’autre humaine, coexistent. Le nestorianisme a été condamné comme hérétique, et ses partisans se sont réfugiés dans l’empire perse sassanide où leur église a prospéré, d’où elle a diffusé sa foi jusqu’en Orient, en particulier dans l’empire mongol.
Que ce soit pour leurs idées religieuses, philosophiques ou politiques, nombre d’intellectuels ont alors fui Byzance et l’empire romain d’Orient pour rejoindre leur grand rival historique, l’empire perse sassanide, qui a ainsi vu bouillonner son propre terreau intellectuel, en particulier en ce qu’on appelle « les gnoses ». Mais là tout devient effectivement très complexe…

A Tach Rabat, le lieu s’y prête, nous rencontrons Cristina et Lisa Vitturi, deux italiennes francophones,  qui voyagent seules avec un chauffeur. Je remarque les yeux bleus de Lisa, et veut savoir si ceux de Cristina, cachés par ses lunettes noires, le sont aussi : non ! Ils sont verts. C’est ça, les rencontres improbables, elles permettent tout de suite un peu de familiarité. Alors quand j’apprends en bavardant qu’elles sont vénitiennes, je demande, bien sûr, si leur Palazzo donne sur le Grand Canal. Eh bien, oui ! Le Palazzo Vitturi existe, je n'ai pas rêvé ! Mais… « La famille a eu des revers de fortune ». Dommage.
Outre ses yeux, et son palais perdu, Lisa a une autre qualité majeure : elle écrit, et vient de publier aux éditions du Cygne « Je suis un Pachtoune d’Afghanistan », dont je commence la lecture au moment même où je rédige cette page. Elle y donne la parole à un jeune réfugié, dont elle connaît parfaitement l'exil difficile, se dévouant sur le terrain pour France-Terre d'Asile. Nous imaginons mal les drames vécus dans les pays en guerre, puis les épreuves endurées sous la coupe des passeurs, avant les affres d'un statut instable face aux administrations occidentales, et nous voilà aux premières loges grâce au livre de Lisa Vitturi. Nouri Khan, le jeune réfugié, par la simplicité de son témoignage, donne au livre un ton de sincérité que Lisa Vitturi a su traduire par l'absence totale d'artifice et de pathos. Grâce à elle et à son style direct, j'admire la pudeur et la volonté d'optimisme de ce jeune homme, exemptes de vindicte, d’apitoiement sur soi, et d'exigence envers les autres.
Au Tadjikistan, je rencontrais Clara Arnaud, en Kirghizie c'est Lisa Vitturi. Les voyages ouvrent des livres !

Lisa Vitturi au Kirghizistan


Nous montons jusqu’à la roulotte verte de Nazira, indiquée par Gounara qui nous avait rédigé un petit mot d’introduction. Il y a là un village de yourtes, et nous espérons y laisser la brouette pendant notre « expédition » vers le lac frontalier Tchatyr Köl. Nazira est absente pour la journée, nous sommes reçus par sa belle-sœur, ravissante, qui nous ouvre une yourte pour la nuit. Elle nous attend pour un thé puis un dîner, dans la petite maison familiale. 
La salle de réception y accueille en réalité, pour des repas, tous les gens de passage. Tout y est impeccable, depuis les rideaux entrecroisés, les bouquets artificiels plaqués sur les murs, la grande affiche aux couleurs crues, la vaisselle, jusqu'à l’alignement des nombreuses petites coupelles de verre gravé pour confitures variées, sucre, fromage blanc, ou pâte épicée. Nous revenons trop tôt pour dîner, et assistons à la partie de cartes d’un groupe d’hommes dont l’un porte un ak-kalpak magnifique, un autre une barbiche blanche très gengiskhanide. Ils jouent dehors sur le sol, sans sembler souffrir du froid qui nous gèle. Nous retournons poser nos pieds sur le poêle tout juste allumé. 


 


Nous voilà les premiers à dîner : soupe de nouilles chinoises, avec pommes de terre et deux morceaux de gras de mouton que j’évacue chez Yvon. Les joueurs de cartes nous rejoignent et nous comprenons trop tard que nous aurions dû jeter dans le bouillon le fromage blanc qui ressemble à du petit-suisse.

 


Nazira est revenue avec enfants et mari, et nous confirme l’attribution de la yourte, la garde du chariot, et surtout l’itinéraire vers le col avec un petit schéma et des précisions.
Nous nous installons dans « notre yourte » où nous attendent lits, matelas, oreillers, couettes et couvertures ! 


1 commentaire:

  1. Bonjour,
    c'est avec grand intérêt que j'ai lu votre récit de voyage.
    Je vous remercie aussi d'avoir fait de la pub pour mon livre!
    Je vous adresse une photo sur la route du khirghizistan,quelque part dans les montagnes,si vous voulez remplacer celle prise lors de la présentation de mon livre.

    J'espère que vous avez repris des forces,en attendant d'autres aventures!
    Un bonjour aussi à votre ami.

    Bien cordialement,

    LISA VITTURI

    RépondreSupprimer