vendredi 14 septembre 2012

14 : EN CARROSSE

SANS CENDRILLON



Toutes les mosquées de village sont sur ce modèle : une salle carrée dominée par un bulbe métallique à pointes de diamant, qui reflète le soleil sous son croissant de lune. Le bulbe ressemble à un origami de papier d'argent. Toutes ces petites mosquées semblent avoir été construites la veille, tant les crépis, les peintures, et les huisseries sont impeccables. Quand je demande qui finance ce renouveau architectural, on me répond que ce sont les villageois eux-mêmes. Que leur nomadisme et leur chamanisme les avaient dissuadés d'investir dans la pierre jusqu'à présent, mais "les temps changent". Simultanément, tous les villages dépourvus d'édifice religieux bâtissent avec ferveur pour combler cette absence. Je ne DOIS pas m'étonner que les finances suivent sans difficultés, les villageois donnent la priorité à cet élan mystique. J'aimerais pourtant être sûr qu'il n'y ait pas là un intérêt saoudien bien compris...
"La Mecque est au sud-ouest, et Paris lâche Kaboul" : dicton kirghize n°33, qui mérite quelques explications politiques. Elles viendront plus tard dans un "commentaire" ultérieur.
PS : voir le chapitre "POLITIQUE" après celui du 16 septembre.



 


A Bar Boulak, nous manquons de peu le minibus qui nous éviterait de longer la route goudronnée trop empruntée. Une vieille Lada, orange comme une citrouille blette, croit pouvoir nous servir de carrosse. Le chariot voyagera au grand air dans le coffre ouvert, et nous dans l'habitacle dont les vitres sont bloquées fermées, mais les portes bloquées ouvertes.



Au premier village le chauffeur s'égosille dans un micro, car il reste quatre ou cinq places libres dans le carrosse. Nous admettons finalement avec un peu de peine que, oui, il sait compter. Il s'arrête pour payer une dette, puis il s'arrête pour arroser le bas-côté. Nous allons comprendre qu'il s'arrête en fait pour laisser souffler sa Lada orange déglinguée.




Le levier de vitesse englobe une mygale dorée à l'or, mais la fumée qui s'échappe sous le volant m'oblige à rouler porte ouverte pour ne pas suffoquer. Ce sont les fils électriques, raboutés au ruban adhésif, qui calcinent leurs gaines dans une odeur de caoutchouc brûlé. Dans les côtes, il faut jouer du piston sur l'accélérateur mais cela ne suffit pas, le moteur cale inexorablement au milieu de la route.




Pour des précisions plus techniques, je laisse la parole à Yvon :
« Un autochtone se présente avec une Lada pourrie et nous propose le trajet jusqu'à Ak Saï pour 200 soms, nous décidons de monter dedans. Sa voiture est tellement pourrie qu'il la démarre avec des fils dénudés, les portières ne se ferment pas, la batterie est entre mes pieds devant. Peu après le départ, les fils sous le volant commencent à fondre et l'odeur de cramé est épouvantable. Nous nous arrêtons dans la ville suivante pour qu'il aille payer ses dettes. Nous repartons mais pas pour longtemps car la voiture n'avance plus. Il isole les fils avec du collant, démonte la tête du delco et assèche les contacts au papier de verre. Nous repartons pour un petit bout et retombons en panne trois fois de rang. En voulant démarrer, à chaque fois il laisse la voiture reculer au milieu de la route où il y a beaucoup de camions. Pour nous cela suffit comme cela, nous récupérons nos sacs et nous le plantons là avec sa voiture pourrie. »

Le chauffeur très fataliste nous laisse partir sans protester.
Après une heure de marche, nous montons dans un minibus qui passe par là. Monter dans les minibus est assez sportif car le chariot a des antennes récalcitrantes. Heureusement la curiosité des passagers pour un tel équipage rime avec patience. Nous réussirons toujours à caser tant bien que mal tout notre barda dans la bonne humeur. Tout ce foin pour trois minutes seulement : nous étions, sans le savoir, aux portes de notre destination, un kilomètre plus loin nous demandons à descendre...




Nous allons suivre le canyon d'Ark Saï jusqu'au lac Issyk köl pour camper sur la plage à nouveau. En principe, il faut obliquer vers la gauche à chaque bifurcation. En pratique, oui, c'est bien à chaque bifurcation, sauf une... et voilà, nous nous égarons. Après avoir erré sous la pluie, dans un décor digne d'un Colorado maussade, nous arrivons dégoulinants et transis devant un groupe de trois maisons. La première est désertée. Dans la seconde, la femme qui nous a vu passer, ne pointe pas son nez quand nous frappons à sa porte ; elle envoie son fils qui ruisselle avec nous le temps de décrire le chemin du canyon. Il y a quand même des kirghizes indifférents !



Munis de ces renseignements précis, nous allons carrément en demander la confirmation inutile dans la troisième maison. Nous sommes pitoyables à souhait, mais une petite étincelle d'espoir dans nos yeux finit par aiguiser la curiosité du propriétaire. Yvon est même décidé à lui prêter main forte car il est en plein travail de restauration. Sa fille de 15 ans va nous préparer le thé avec beaucoup de bonne volonté, et quelques mots d'anglais. Sa mère est professeur dans l'école d'Ark Saï.




Bien rassasiés, nous attendons en vain une éclaircie, et décidons d'affronter courageusement les intempéries. Le canyon que nous atteignons enfin est devenu un marécage boueux, mais permet un passage facile ente deux hautes falaises de terre ravinée.



C'est un cadre étonnant, sans visibilité extérieure, avec des pans de mur qui se sont effondrés par endroits. La distance parcourue est très difficile à apprécier car les sinuosité sont toutes identiques et répétitives de coude en coude, comme si nous ne devions jamais trouver l'issue.




Sous le soleil revenu la boue se colore de toutes les teintes orangées, avec lesquelles le bleu du lac tranche enfin. Mieux encore, pour rester terre-à-terre, ce soleil nous sèche en un instant.
J'ai décidé de faire cuire une compote des petites pommes ramassées sur la route, mais n'ai pas le temps de les peler avant la nuit, et l'eau du lac est toujours un peu salée...
Néanmoins, " Pommes cuites sur ce lac-là, y gagnent un autre éclat ! " : dicton prétentieux improvisé par le cuisinier...


 


Pour ajouter au spectacle, treize éclairs lacèrent le ciel au-dessus du lac les uns après les autres, la tente claque en tous sens sous le vent d'ouest, et des cataractes de pluie jouent du tambour avec acharnement sur la toile. Mais nous, nous sommes benoîtement endormis à l'abri.


Une photo magnifique prise par Yvon avant l'orage quand le soleil se couche.




1 commentaire:

  1. Moi qui adore les ambiances western,j'ai bien aime Ak Saï,les plateaux sur les hauteurs après Terek et le site de Konorchok dont tu n'as pas encore parle.Avec des amis nous avons d'ailleurs en projet de parcourir l'Ouest americain en moto ;je pourrais donc comparer les deux endroits.

    YVON

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