mercredi 5 septembre 2012

5 : DEUX ROMÉOS


COMBIEN DE JULIETTES ?


  


Nous nous réveillons et allons marcher sous une pluie continue et un ciel assombri, capes sur les sacs, vestes imperméables sur le dos. Le village de Baygönchök nous semble hostile alors qu’il est seulement indifférent. Si personne ne nous propose d’abri, c’est parce qu’il n’y a presque personne dans la rue, et surtout que personne, sauf nous, ne s’affecte de cette pluie. J’imagine bien les pensées des autochtones : ceux-là qui aiment tant déambuler, ce n’est pas un petit crachin kirghize qui va les effaroucher. 
Ils ne savent donc pas qu’un rien nous effarouche ?




A six kilomètres de Baetov, cinq hommes font une pause près de leur voiture orange. Leur voiture porte un échafaudage de trois tables de bois. Les cinq hommes, eux, portent un toast. Notre arrivée est l’occasion rêvée d’en porter d’autres. Pause et toasts riment bien sûr avec vodka. Pour le conducteur comme pour moi. Euphoriques et enthousiastes, nous échangeons nos couvre-chefs, nous voilà coiffés de l’ak-kalpak avec une dignité plutôt contestable. Compte tenu de mon âge, ils sont très admiratifs devant mes mollets. Mollets qui ne vont plus marcher droit : à leur départ je dois m’allonger sur la table.
Petite précision : je suis le seul à n’avoir bu qu’un seul verre. 
Quelqu’un veut-il censurer cette dernière phrase ?








 
 Le verre n'est pas stable non plus !

Baetov est une petite ville séduisante par ses larges avenues boisées, ses clôtures vert et blanc, ses maisons décorées de damiers immaculés sur leurs murs de brique.



Le vaste cimetière de Baetov offre toutes les variétés connues de mausolées. Voici les portraits gravés sur pierre, et les tombes en cages d’oiseaux que je vous avais promis. Les cages se couvrent de fleurs au printemps. Les portraits coûtent maintenant trop cher, et les sculpteurs se désolent de leur inactivité.


Cette photo est prise plus tard, dans le cimetière de Bar Boulak

Le croissant de lune est bien sûr un symbole musulman, mais c'est aussi la traduction chamanique de la lumière dans l'obscurité. Par contre, l'étoile à cinq branches est bien soviétique.



Nous sommes guidés jusqu’à un petit restaurant où nous dégustons goulash, crêpes à la viande, aux oignons, aux poivrons, et thé sucré. Les repas sont mitonnés par la tante de la serveuse qui a quelques amies très délurées. 

 


 
Notre serveuse et sa mère.


Des amies délurées, je crois que cela signifie des amies qui ont eu vent de la réputation française de séduction : pour elles c’est l’occasion ou jamais d’en profiter. Pas sûr, en effet, qu’à Baetov, au cœur de la Kirghizie, se profilent avant longtemps deux autres français aux mollets galbés…  
Elles n’imaginent pas encore combien ce blog va leur valoir de rencontres sentimentales, en explosant la fréquentation touristique.


 



Pris de remord hypocrite, nous décidons d’envoyer des mots d’amour à nos épouses, et cherchons un poste internet. On nous guide vers les bureaux des Télécoms, que nous contournons pour pénétrer par une porte privée. Nous expliquons que nous sommes des Roméos, et qu’il y a urgence à séduire des Juliettes. Sans conteste, l’urgence est reconnue pour telle. Le directeur des Télécoms nous ouvre prestement le bureau, fermé à clef, d’un collaborateur, pour nous laisser tout loisir de babiller.
D’ailleurs, je crois que vous en avez bénéficié vous aussi car j’en ai profité pour expédier un mail commun clandestin. Pendant qu’Yvon écrit à son tour, le directeur vient aimablement s’enquérir du succès de nos démarches conjugales. Et s’en réjouir avec nous. 




 
 En Kirghizie, les statues de Lénine n'ont pas été déboulonnées.


Nous quittons Baetov pour une plaine nue où la vue se perd. Mais voilà un semblant de canal asséché qui va accueillir la tente, loin de la piste, hors des regards. Le soir, avec cette réputation de séducteurs, nous préférons ne pas attirer les foules. 




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