mardi 18 septembre 2012

18 : UN COWBOY DORT

EN LUI

Nous quittons Tcholpon-Ata sous la pluie, après avoir négocié une voiture individuelle devant l'arrêt des minibus. "Individuelle mais négociée" signifie qu'elle sera partagée avec autant de passagers qu'il pourra en tenir dès le départ ou en cours de route. Par chance l'un des quatre passagers sur la banquette arrière avec nous est une petite fille. Par malchance, elle est très impudente, refuse avec brusquerie que je l'aide à s'installer, mais me heurte sans excuses dès qu'elle bouge.


Personne ne comprend où nous voulons nous rendre. Nous avons choisi les gorges de Konortchok qui s'enfoncent dans des falaises rougeoyantes en un dédale spectaculaire. Nous croyons qu'elles se situent à une vingtaine de kilomètres après Balyktchy, sur la route de Bichkek. La vingtaine de kilomètres approximative se révélera très sous-évaluée. Par contre, nous savons  qu'il faut quitter la route juste après un pont qui traverse la rivière de sa rive droite à sa rive gauche. Sur la photo aérienne qui révèle la couleur ocrée du massif, j'ai tracé en rouge notre circuit. La première partie orientée sud-nord suit la route goudronnée. Elle traverse bien la rivière, vous le constatez vous-mêmes. Ensuite la partie est-ouest quitte la route pour suivre le canyon.
Malheureusement, environ 25 kilomètres après Balyktchy, une bifurcation de la route, vers Kochkor, traverse elle aussi la rivière. Il nous faut insister auprès de notre chauffeur qui a déposé tous ses autres passagers à Balyktchy, pour qu'il accepte de nous conduire un peu plus loin. A force de tempêter, nous obtenons une rallonge de quatre kilomètres, pas plus. En outre, il soutient qu'il n'y a pas de pont plus loin, que nous voulions un pont, que nous l'avons sous les yeux. Nous utilisons le mot "most" pour désigner ce pont, nous souvenant de la ville bosniaque de Mostar où le pont historique a été détruit et reconstruit. Notre vocabulaire tient ainsi à un fil. Au sujet de ce pont, le chauffeur semble nous comprendre. (J'ai vérifié depuis qu'en russe "pont" se dit bien "most"). Il nous met le ver dans le moral : s'il n'y a, plus loin, ni pont ni most, nous allons douter de la fiabilité des photos aériennes qui m'avaient pourtant guidé jusqu'aux plus petites passerelles et enclos à chèvres du Pamir...
Nous ne baissons pas les bras pour autant, et quittons notre voiture à l'endroit même où commencent des travaux d'élargissement de cette route très fréquentée entre le lac et la capitale. Ce tronçon, où s'activent des ouvriers chinois, sera une autoroute. Actuellement les deux voies de droite ne sont pas ouvertes au trafic. Elles offrent toute leur confortable largeur au chariot d'Yvon qui se prend aussitôt pour une formule 1.
Mon sac à moi ne s'est jamais pris pour un tapis volant !
Il va nous falloir marcher 13 km sur cette route avant de trouver le pont qui existe bel et bien. Or les quatre voies se réduisent brusquement de moitié, dans les gorges du Lacet (Boömskoe uchtchelie), décrites dans le guide comme "un canyon sinistre balayé par un vent violent". Ces gorges avalent péniblement rivière, voie ferrée et route. Route devenue étroite et poussiéreuse entre des murs de béton où les camions nous frôlent en nous asphyxiant. Nous arrivons finalement sains et saufs au pont après lequel nous obliquons, soulagés, vers le sentier qui emprunte le lit à sec de la rivière Konortchok. Nous sommes à 42 km de Balyktchy...




Nous allons suivre un long canyon sinueux entre de hautes falaises de roche, puis de poudingue ou de terre. Le lit du ruisseau est le plus souvent facile à suivre, de terre compacte ou de gravier, entrecoupé parfois de barrages à escalader plus ou moins facilement. Yvon abandonne son chariot, caché dans un fourré après le premier barrage, puisque nous reviendrons demain sur nos pas.




 

Les couleurs sont d'ocre rouge. L'érosion a sculpté des sillons, des strates, des anfractuosités, des stalactites, des pyramides, des silhouettes...






Nous butons finalement sur un vrai mur qui obstrue le passage. Nous décidons de camper en léger surplomb du lit, sait-on jamais, une crue n'est pas exclue...


 


Yvon interprète le scénario ainsi : " Le paysage est vraiment comme dans les westerns, et nous allons faire les cowboys, la tente et le feu pour le repas, mais nous n'allons pas dormir la tête sur notre selle de cheval.
Menu : spaghettis bolognaise après les derniers saucissons de Marie Hélène, du thé, une pomme, une barre de céréales. 
Ensuite, comme il fait bien jour, nous nous baladons au fond du canyon jusqu'au mur qu'on ne peut franchir. Je finis mon journal en écoutant « Radiohead » dans un décor féérique de film de John Ford, pas un bruit, juste quelques oiseaux. On s'attend à voir surgir les crotales et les indiens comme dans les BD Blueberry (la mine de l'allemand perdu)."




Le soleil s'est dévoilé. Avec toutes les broussailles qui nous entourent, le feu de camp bien nourri est un brasier. La nuit va être riche de silence et de sérénité. Nous sommes une fois de plus seuls aux portes d'un autre univers.






3 commentaires:

  1. Marie Hélène16.11.12

    Bien vu pour le titre, je ne suis pas Calamity Jane mais c'est aussi un endroit qui me fait rêver. Pour Yvon c'était sûrement un grand moment de bonheur.

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  2. Pour l'endurance et la motivation, tu vaux certainement Calamity Jane. Je n'ai aucun doute là-dessus !

    C'était le dernier feu de camp, la dernière nuit dans la tente : il y avait une petite nuance de nostalgie après tant de kilomètres à pied. Dorénavant nous crapahuterons sur les trottoirs...

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  3. Ce voyage se termine, vive le prochain !

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