dimanche 16 septembre 2012

16 : UN ÂNE NOUS SUFFIRA

QUAND NOUS SERONS BIEN VIEUX



Nous avons calculé notre circuit pour être présents à Karakol un dimanche matin. C'est le jour hebdomadaire du marché aux bestiaux le plus couru d'Asie Centrale avec celui de Kachgar. Pour les achats en gros, les transactions commencent à 2 heures du matin. Acheter en gros signifie acquérir un troupeau entier. A partir de 6 heures les acquisitions individuelles débutent, nous arrivons. Nous ouvrons grand yeux et oreilles pour comprendre la marche à suivre, car un jour nous reviendrons en Kirghizie, plus vieux qu'aujourd'hui, et il nous faudra des montures. L'esplanade du marché est immense et grouillante de bêtes et de gens : les ovins et les caprins d'un côté, les bovins et les équidés d'un autre. Nous attendons patiemment pendant que le soleil se lève sur les crêtes enneigées qui cernent Karakol, persuadés d'assister à une mise aux enchères, mais rien ne vient. En fait les transactions sont très discrètes, d'homme à homme, et nous surprenons à peine quelques échanges de liasses. Tout se fait dans un calme et un silence que nous n'attendions pas. 


 



Nous sommes surpris par ces décorations fréquentes dans les crinières et les queues des chevaux. Ce sont des graines qui donnent une impression de négligence sur des animaux qui devraient pourtant être sur leur trente-et-un. Peut-être ont-elles un sens caché.





Avant de réaliser qu'il n'y a pas de dramaturgie, nous allons nous restaurer et nous réchauffer à l'abri d'un stand, tenu comme un troquet par une imposante matrone qui nous explique ses recettes, et se réjouit de notre appétit. Nous irons nous asseoir à deux reprises chez elle où il y a trois chaises, assistant aux allées et venues des consommateurs qui se restaurent debout à la devanture. Les buveurs de vodka ont le choix entre le verre servi à la bouteille ou le verre de plastique tout prêt, scellé d'un opercule étiqueté tel un petit pot de yaourt. L'un ou l'autre se boivent cul sec en un seul temps, un seul mouvement.




Nous nous régalons d'abord d'un beignet fourré aux oignons avec un verre de thé, puis plus tard nous testons une bolée de khochani. Ce sont des sortes de pâtes râpées dans un bloc blanc, translucide et gélatineux puis mélangées à de vraies nouilles et des petits légumes émiettés. Leur nature est mal définie, leur goût plutôt insipide, leur consistance molle en fait probablement l'attrait... Il faut aider leur digestion par un verre de vodka. Nous nous exécutons.




 





Nous assistons avec intérêt aux exploits des maréchaux-ferrants qui s'activent avec célérité et bonne humeur. Ils travaillent à la chaîne pendant que les chevaux font la queue à proximité. Ceux qui sortent de la cage avant d'être immobilisés par une sous-ventrière perdent leur tour. Un clou m'est offert en souvenir quand je me vante d'avoir un beau-frère maréchal, mais je refuse d'en acheter tout un stock pour les chevaux bretons.







 





Yvon achète une cravache artisanale pour un prix modeste : une vraie de vraie du marché aux bestiaux de Karakol, Kirghizie, Asie Centrale ! Par contre,  nous tentons en vain de marchander des étriers en laiton travaillé, et renonçons tant à cause du prix, 5000 soms, que du poids, un kilo par étrier qui s'ajouterait dans nos sacs.


La cravache d'Yvon est celle de gauche.



La mosquée de Karakol a été bâtie tout en bois, sans un clou, par un architecte chinois, puni ensuite pour y avoir dévoilé des secrets de construction anti-sismique. La mosquée a l'allure d'une pagode cernée de colonnes, mais à l'intérieur la disposition des lieux est bien musulmane avec mihrab et minbar en bonne place. Le gardien barbu ne fait pas de prosélytisme et préfère évoquer avec nous les Trois Mousquetaires et le Capitaine Némo.






L'église orthodoxe, elle aussi tout en bois sans clous, est ornée à profusion de moulures sculptées sous ses bulbes dorés. Le jardin qui l'entoure est planté de pommiers généreux. Le pope qui officie s'adresse à  son petit groupe de fidèles avec conviction. Il semble les invectiver individuellement. Il a bien sûr la barbe, la voix et la stature qui conviennent à son prestige. Les icônes modernes respectent leurs canons stéréotypés. Mais selon mes souvenirs, les volutes d'encens sont ici trop parcimonieuses. A mon goût, elles manquent cruellement.   








Dans le bazar, nous trouvons une gargote nichée dans un container de bateau. Les deux cuisinières s'activent au fond. Nos voisins de table, tout proches évidemment, s'intéressent à nous et vantent les beignets aux pommes de terre qui s'appellent "pirojki". Après les beignets, la crêpe pliée et repliée sur des lamelles de légumes est très nourrissante.




Nous passons au musée où nous n'osons pas ouvrir la vitrine consacrée à Ella Maillart. "Des Monts Célestes aux sables rouges" en édition originale nous tend pourtant les bras, à nous qui manquons maintenant de lecture. Pour nous divertir de ce projet, la conservatrice nous invite dans son bureau, et nous fait admirer sa collection encadrée des photos noir et blanc prises ici-même par l'auteur aventurière.


Souvenirs d'Ella Maillart.








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