samedi 1 septembre 2012

1 : DEUX UNIVERS

NOUS AURONT ACCUEILLIS  

Au matin, je me porte volontaire pour baratter, malgré mon inexpérience. Je n'ai jamais vu ce type de machine actionnée par une manivelle. Après seulement deux remontrances, j’obtiens le bon rythme, et vous voyez couler le petit lait dans le seau. La crème coule aussi, moins visible dans le second seau. Non seulement je baratte, mais je fais baby-sitter !
Baratter prend des heures dans la journée, et apparemment tout peut être gâché par maladresse…




Yvon est plus expérimenté que moi :
vous voyez l'écoulement des deux côtés,
et le geste d'approbation de notre hôtesse.

Il faut ensuite remplir de petit lait un grand sac de toile poreux, qui suinte à même le sol sous la pression d’un madrier. Il s’agit de compenser chaque jour la perte de la veille, et je suppose que le résultat sera un fromage caillé et maigre.




Nous sommes bien déçus de nous être levés dans une brume cotonneuse, qui s’installe malgré le vent et recouvre tout. Le soleil la perce à peine, les contours sont flous, le lac s’est évanoui. En route après le petit-déjeuner, nous croyons ne pas avancer sur une étendue illimitée, jaunâtre et monotone. C’est un paysage peu engageant, qui laisse présager la désolation des prochains mois d’automne.    



Le lac Song Köl n’étant pas sur notre itinéraire, nous avons prévu un aller et retour de 16 km afin de le contempler.  Alors, sous la brume, la tentation est grande de nous laisser faire, quand un minibus s’arrête pour nous embarquer. Nous ferons le retour à pied, promis ! Cela nous donne bonne conscience, nous acceptons cette offre.  
Je crois qu’Yvon est un peu surpris de voir que je ne suis pas plus intransigeant…
Ce minibus retourne à vide vers un village de yourtes touristiques, occupées ce week-end par des membres de la Croix-Rouge. Au Kirghizistan, la Croix-Rouge compte 25 employés de toutes nationalités, répartis entre Bichkek et Och. Ils profitent de ce week-end, prolongé par l’anniversaire de l’indépendance proclamée le 31 août 1991, pour se distraire.
Gounara, leur guide kirghize, charmante et parfaitement francophone, va nous être d’une grande aide pour la suite de notre périple. Elle nous apprend que la frontière avec la Chine est un no man’s land sur trente kilomètres de largeur, et que les camionneurs chinois n’ont pas le droit de prendre de passagers. Or nous voulions rejoindre la route près du poste frontière de Torurgart et faire du stop… Il faut revoir notre programme, et elle nous rédige un petit mot d'introduction pour une amie, dans le sud du pays, de façon à définir un trajet autorisé.

Nous voilà aimablement invités à l’apéritif, ravis d’avoir deux interlocutrices francophones, Gounara et Catherine qui est romande. Désaltérés après une bière fraîche, nous éveillons la curiosité grâce à notre itinéraire, et grâce à la brouette. Nous apprenons qu'elle a déjà fait sensation dans les rues de Bichkek !
"Allez monter votre tente, et revenez pour le dîner !"
La brume ne se lève pas, cache les crêtes enneigées de la rive opposée, et le soleil se couche dans un halo jaune pâle. Les berges, habitées par de nombreux oiseaux, sont mornes et marécageuses. 



 
 Notre petite tente, à l'écart du village de yourtes

La vaste yourte luxueuse, qui abrite une table en U, sera chaude et conviviale. Nous allons en profiter. D’office, le premier verre est rempli de cognac arménien. Le plat qui l’accompagne est une grande crêpe claire, repliée en feuilleté sur des oignons, servie avec une salade de légumes. C’est vraiment excellent. Notre appétit est revenu, nous dévorons. Je vide ma coupelle de confiture d’abricots, pour finir mon verre de... vodka. Pour les convives non musulmans, du moins certains d'entre eux, ce sera verre de vodka sur verre de vodka, vidés d’un trait à la russe. Ce soir, je suis un peu musulman, un verre suffira. 
J'appelle "un verre" cette addition : bière + cognac + vodka ! 
Musulman, mon voisin l’est réellement, et il suscite d'emblée mon intérêt, il est tadjik ! C’est l’occasion de bafouiller quelques mots en persan, mais son accent du nord du Pamir me complique la tâche dans le brouhaha. Malgré des consonances inhabituelles, je saisis que son frère vit à Marseille, et que lui n’y est jamais allé.


 A ma droite, un invité américain qui va de Singapour à Brest à vélo.
A ma gauche, mon voisin pamiri qui est guide.


Yvon est plus précis que moi sur ses notes : Catherine est logisticienne et fait des missions de six mois, un an ou un an et demi  (Soudan, Tchad, Burkina Faso, Kirghizistan, etc.). En général les missions difficiles alternent avec d’autres plus faciles. Avec elle, nous évoquons, bien sûr, Ella Maillart et Nicolas Bouvier, ses compatriotes. A ses côtés, Vera, américaine d’origine indienne, aligne pour l’ONU des missions courtes, n’excédant pas trois mois, dans toutes les parties du globe : elle s’occupe du droit des femmes dans le monde. Elle est très bavarde, très vive et très gaie. Nous la croiserons à nouveau dans les rues de Bichkek.  



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