vendredi 7 septembre 2012

7 : NOIRS ET CHEVELUS

QUI SONT-ILS ?

Cette matinée-là revit dans le mail que je vous ai envoyé plus tard :

Au matin le ciel était gris.
Au matin, les lacets de la piste ne s'étaient pas raccourcis.
Au matin, il n'y avait pas de col au bout de nos efforts.
La piste démente ondulait, toujours en ascension, décevant nos espoirs.
Si la piste montait, le ciel descendait, bas, lourd, et menaçant.
Et le vent s'y est mis, glacial sur mes quatre épaisseurs de vêtements, gants et bonnet.
Et la pluie par dessus qui allait tourner en grêle (mais j'ai une capuche).
...
J'ai froid, j'ai faim, j'ai les épaules en compote et les jambes tétanisées.
J'ai les dents sales à cause des bonbons, et les oreilles poussiéreuses, j'ai les cheveux collés.
J'ai les pieds mouillés, les lunettes embuées, et le chien qui aboie m'exaspère. 
Qu'est-ce que je fais là, moi qui vis au paradis ?
...



Enfin, le col ! Börülü ashuu à 3268 mètres. 
Là, sous le monument, un Tarass Boulba à qui j'offre un bonbon comme droit de passage.




La descente est bien sûr plus facile. Un grand troupeau de brebis et de yacks va nous distraire et évacuer la morosité. Nos premiers yacks sont tout noirs et bien chevelus, mais peu ont des cornes. Ce sont peut-être des dzomos, les femelles des dzos, hybrides entre yacks et bovins. En tous cas, ce sont des yacks qui paissent. Qui paissent en troupeau sur des pâturages. Vous en déduirez ce que vous voudrez. De "vrais" yacks cornus, je vous en montrerai plus loin. Les vrais yacks ne peuvent vivre en dessous de trois mille mètres d'altitude. 


 




Une yourte va nous réconforter. Sa propriétaire qui nous voit immobiles dans l'expectative nous hèle. Elle sera charmante, bonne mine et dents étincelantes. Du coup, nous engloutissons sa confiture de cassis sans rien en laisser... 




 

Tout l'après-midi, nous marchons vers un horizon menaçant, et le crachin nous suit. Le hameau d'Orto Syrt, au confluent de la Kalkagar et de l'Ak Beyit, s'est mis au diapason. Malgré son superbe nom, tout y part à vau l'eau, vétuste, délabré, en partie abandonné. A moins d'une "riche vie intérieure", il semble n'y avoir aucune activité possible. Pourtant une fumerolle signale de loin une présence dans l'une des baraques. Vous avez compris que toute présence nous interpelle. Nous ne négligeons jamais aucune fumerolle. 
"Nez qui frétille a perçu la fumée" : dicton kirghize n°5 




Et nous voilà accueillis par une femme borgne et son fils rougeaud. Dans la masure, il y a plusieurs pièces. Celle qui nous attend, n'est pas celle où tiédit le poêle. Sans y être invité, je vais pourtant y réchauffer mes mains et mes pieds. Alors, ni une, ni deux, la femme du rougeaud déménage table et tabourets pour nous contenter, et alimente le poêle de bouses séchées !  
Y chauffe une vaste vasque de lait pleine à ras bord. 


 



Comme dit Yvon, sous toutes les latitudes,
les femmes sont délurées et les hommes empotés.
A votre avis, cela se voit-il sur leurs visages ?



"Le thé va venir", précédé de pain et de beurre  onctueux.

Alors qu'elle m'écrit un billet (doux ?), la femme borgne est expulsée manu militari. On nous fait comprendre qu'elle est ivre ou qu'elle n'a pas toute sa tête. Pour nous, c'est un peu pareil. 
C'est la débandade, nous voilà abandonnés, enfermés dans la pièce, à l'écoute des cris et des braillements dont résonne maintenant toute la maison. Le maître de céans, toujours rougeaud, entre brusquement, se dirige vers le coffre cadenassé dans mon dos, en extrait l'une des nombreuses bouteilles de vodka dont il regorge. La bouteille a des vertus, elle va rétablir la paix et le silence.

Nous attendons. Avons-nous bien compris ? Un thé a-t-il été promis ? La vodka a-t-elle annihilé toute vie consciente chez nos hôtes ? 
Nous attendons. Peut-être faut-il nous éclipser discrètement. 
Nous attendons presque une heure, et voyons arriver le samovar, dont la fumée nous asphyxie avant que notre hôtesse ne le chausse d'une cheminée rouillée. Il a fallu obtenir des braises pour le remplir, attendre que l'eau y bout, pour nous l'apporter prêt à servir. 


 


Au départ, les deux fils de la maison nous saluent du haut de leurs élégants chevaux, l'un noir, l'autre alezan. Nous comprenons qu'ils parlent exclusivement kirghize : quel peut être leur avenir dans cet environnement avec si peu de cordes à leur arc ? 




A la sortie, le gué nous mouille les pieds, le vent glacial ne faiblit pas. Nous nous contentons d'un petit renfoncement des contreforts de la rive pour nous abriter. Le soleil revenu se couche. Les tons s'illuminent. Les couleurs du paysage brûlent d'un éclat orangé, mais nous, nous sommes gelés jusqu'à l'os. Pas de feu ce soir. Nous dînons "au lit" dans nos miraculeux draps de soie. Ceux-ci et le thé offert dans la yourte nous réchauffent enfin.









2 commentaires:

  1. Est-ce l'alcool qui tient chaud à la femme délurée, en robe d'été, alors que son fils rougeaud est couvert comme un oignon ?

    Mais comment faites vous donc, pour vous diriger de cols en steppes ? Suivez-vous la boussole, les étoiles ou encore les chemins en lacets des troupeaux ?

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  2. La femme délurée porte parfois une polaire grise, visible sur la photo du samovar. Le rougeaud est son mari, et non son fils. La mère (ou belle-mère) du rougeaud est celle qui écrit sur la photo où je la côtoie. C'est celle-là qui boit peut-être...

    Pas de boussoles, ni d'étoiles, nous parlons aux gens (si l'on peut dire), et nous naviguons à l'instinct : ça marche ! presque toujours...

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