Contraints à un aller-retour par l’interdiction d’approcher
la frontière chinoise, nous allons franchir le col qui nous sépare du lac
Tchatyr köl, dans les deux sens, et revenir dormir dans la yourte de Nazira
après-demain. Nous abandonnons le chariot, et allégeons les sacs au maximum :
pas de vêtements de rechange, pas de
pharmacie, pas de trousse de toilette si ce n’est la brosse à dents, pas de
sandales, pas de livre, et juste de quoi ne pas mourir de faim. Le sac me paraît léger :
tente et duvet !
Le dessin de Nazira est notre fil d'Ariane
La réalité
Au fond de la vallée, une pyramide surmontée de crêtes déchiquetées
ressemble trait pour trait au dessin tracé par Nazira : nous obliquons à
droite, là où il ne faut surtout pas se tromper. Le soleil brille et les premiers
kilomètres nous ménagent. La pente va s’accentuer brusquement en raidillon,
plus ou moins balisée de cairns qui nous confirment le trajet. Persuadés d’atteindre
enfin le col, nous tombons sur un cirque clos sans perspective, et il faut
franchir un dernier ressaut en diagonale plus abrupt. Dans ces éboulis, il
faut être prudent.
Au col lui-même, à 4020 mètres d'altitude, le vent glacial nous gifle sans ménagement,
nous laissant à peine le loisir d’admirer le lac bien délavé par une petite
brume, cerné au loin par les hauts sommets enneigés de la frontière chinoise. Ceux-ci,
nous les devinons qui miroitent quand le soleil ne joue pas à cache-cache sur l'horizon.
Kachgar, cité marchande mythique, se niche au-delà des cimes,
et nous n’irons pas fouler son sol demain !
Nous allons bientôt gagner notre pari : traverser tout le pays du nord au sud !
Alors que nous descendons en courant, exaltés peut-être par l’euphorie du but atteint, une voix furieuse nous invective et des gestes impérieux nous intiment de nous calmer dans un coin !
Une horde de chevaux précédant un troupeau de bovins et d’ânes,
puis de moutons, s’attaque au col, et s’effraye de notre présence incongrue. A
vrai dire, les animaux sont surtout rétifs devant l’obstacle, et leur
palefrenier-vacher-berger doit courir des uns aux autres pour les encourager à
coups de pierres. Nous admirons sa vigueur et ses cris impératifs, d’autant qu’il
est sous la surveillance passive d’un cavalier plus occupé à se pavaner devant nous en voltefaces
inutiles. Devant cette différence de motivation, Yvon
suppose qu’il s’agit d’une épreuve initiatique sous contrôle.
Plus bas, ce sont les yacks qui pullulent et s’avèrent tout aussi timides que les chevaux. Quand ils portent des cornes, ils affichent un air de matamore, mais semblent tomber des nues à notre vue. Leur physionomie ébahie s’accorde à leur pelage négligé, qui ressemble à une jupe plissée en guenilles, et ça n’est pas fait pour leur donner de l’assurance. Nous leur courons après pour les photographier avec des mots doux, et c’est la débandade. Quelques-uns se battent entre eux, soulèvent des volutes de poussière, mais paniquent si nous tentons de les raisonner. Pendant ce temps les autres ronflent comme des gorets, tout éveillés. Impossible de les prendre au sérieux !
qui survivent mal sous 3000 mètres.
Parvenus dans la cuvette du lac, morne steppe craquelée d’herbe
en touffes desséchées, qu’il faudra traverser en une heure et demie pour
atteindre les rives, nous sommes en infraction à moins de trente
kilomètres de la frontière. La vue porte loin et nos yeux ne détectent aucun
garde-frontière. Seuls les nombreux oiseaux aquacoles de cette réserve naturelle piaillent devant nous,
et s’envolent. Les berges sont marécageuses, le vent est un blizzard, nous ne nous jetons pas à l’eau.
Après avoir planté la tente à la limite du domaine des yacks, nous claquons des dents sans repas chaud : nous n’avons pas emporté la casserole…
Nous nous calfeutrons au coucher du soleil, il est à peine plus de 18
heures !
Selon la ligne rouge, nous sommes à 15 km de la frontière, au lieu de 30.
Il paraît que les gardes frontaliers sont très teigneux...
Nous n'en pourrons témoigner.
Il paraît que les gardes frontaliers sont très teigneux...
Nous n'en pourrons témoigner.
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