jeudi 6 septembre 2012

6 : À L'ORIGINE



NOUS ÉTIONS LÀ !





Au moment où nous passons devant l’école de Térek sortent quatre collégiens, que nous prendrions pour des gravures de mode s’ils n’étaient pas en plein âge ingrat.
Les tenues des écoliers et des collégiens sont des modèles du genre pour leurs condisciples occidentaux. J’en suis moins éberlué depuis que j’ai admiré la même élégance dans les villages perdus du Pamir. Nos quatre collégiens arborent cravates rayées et costumes stricts sur leurs chemises blanches amidonnées. Leurs chaussures noires ne portent pas de logo vulgaire. Bien sûr, il y a un original dont la cravate est étroite sur un gilet à deux boucles métalliques, dont le pantalon est tirebouchonné en corsaire. Même celui-là ferait figure de dandy dans nos collèges banalisés en blue jeans. Il peaufine son look avec les lunettes aux verres orangés d’Yvon, qu’il aurait tant aimé garder.



Aïda, institutrice à Térek


Nous demandons où trouver une tchaïkhâné à une institutrice qui s’en retourne chez elle. En l’absence de toute auberge à Térek, elle nous offre de venir chercher pain et thé chez elle. Sa maison est en cours de rénovation, grande et propre, mais nous ne sommes pas invités à entrer. Dommage !
Elle est très étonnée que nous ayons pu croire que les combles des maisons typiques, ouverts à tous vents, aient pu servir à entreposer du fourrage. Il n'en a jamais été question !   
Après avoir rempli notre thermos de thé, elle nous suggère de rendre visite à sa belle-mère, qui garde son fils et nous ravitaillera. Sa maison est la dernière à droite après la sortie du village.



Surpris et admiratifs, nous longeons une étrange et miroitante cité médiévale, en position défensive sous les neiges éternelles. Les encorbellements et les échauguettes que nous devinons, sont ombragés par quantité de toits effilés et de bannières dressées. Ce décor est prêt pour accueillir Manas et ses compagnons en armures de chevaliers. C'est le mirage littéraire de La Cité fantomatique !
Ah ! En approchant nous voilà tout simplement devant le cimetière de Térek, fastueux de tous ses mausolées commémoratifs. 
Avouez que vous auriez aimé croire avec moi à l'existence de La Cité. 
Et je songe, perplexe, au dicton kirghize n°15 : 
« Qui succombe au mirage, voit le tombeau de près ».


 

Trois kilomètres après la sortie du village, une maison isolée est là, sur la droite, après la traversée de la rivière à sec. C’est trop loin de Térek à mon avis, pour qu'elle soit celle de la belle-mère d'Aïda. Yvon est plus confiant que moi. Nous approchons, le chien jappe, j’explique que nous venons faire des photos d’Alimbek, le fils de l’institutrice dont je montre le visage sur l’écran de l’appareil. 



Yvon avait raison, la maîtresse de maison acquiesce d’emblée. Elle nous mène à la chambre où nous nous muons en portraitistes. Alimbek est bien endormi dans son berceau à bascule, et n’en est que plus beau, sous les baisers de sa grand-mère. Il a sept mois.
Pour notre peine et notre talent de photographe, nous nous retrouvons à table devant deux bols de kéfir, sucré à la confiture d’abricot. 





Ces deux photos, prises la première par moi, la seconde par Yvon, prouvent combien nous avons été séduits par cet instant. D'autant qu'elles me rappellent celle qui ouvre le blog de mon voyage au Tadjikistan en 2010.




Au fond de la vallée que nous remontons, le petit ruisseau roux et boueux finit par s’assécher sans que nous y prenions garde. L’eau est la condition sine qua non de notre confort, si ce n’est de notre survie. Tous nos trajets sont dessinés en fonction des rivières et des torrents, et voilà que nous nous sommes fait surprendre. Les voitures, qui pourraient nous ravitailler, sont rarissimes sur ce tronçon très scabreux et interminable entre Térek et la route A-365. 
Et pourtant, en voilà une qui vient à notre rencontre. Je me mets au milieu du passage pour l’arrêter, ce qu’elle aurait fait de toute façon. 
Surprise ! Il en descend l’assoiffé de vodka, rencontré avant-hier à Ügüt ! Celui à qui nous n’avions pas voulu offrir sa bouteille. L’assoiffé n’est pas rancunier, et rit de bon cœur quand nous lui quémandons une bouteille… d’eau.
Décidément, les kirghizes ont toutes les qualités.




La montée vers le col est lente, laborieuse. Malgré la splendeur du paysage qui se dévoile au fur et à mesure, nos épaules se rebellent, je ne sais plus comment soulager mon dos. Nous nous encourageons en promettant de nous arrêter au premier espace accueillant pour camper. Mais, échaudés par des nuits instables, nous sommes exigeants pour notre confort nocturne. Pris entre l’espoir d’un nid douillet et la fatigue de la journée, les kilomètres peuvent s'additionner. Ce soir, nous sommes récompensés par une terrasse panoramique fascinante. Nous nous croyons aux prémices de la Création, témoins des soubresauts de la terre, face aux failles qui courent jusqu’à l’horizon. Notre flambée se fait néandertalienne, là où se crée un nouveau monde pour nous seuls, sous la voûte céleste trouée d’étoiles. 






1 commentaire:

  1. Les failles ont l'air impressionnantes, mais on ne peut cliquer la photo pour l'agrandir (idem pour celle des collégiens.)

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