Faisons une petite pause sur notre parcours. Le lieu est bien choisi, profitons-en.
La yourte kirghize se distingue des autres yourtes, parce
que son propriétaire est semi-nomade : en hiver, il quitte ses
hauts-pâturages pour retourner vivre en ville ou en village. Sa yourte se
déplace deux fois l’an, et peut se permettre d’être plus lourde, plus vaste,
plus décorée que les yourtes mongoles. Elle se différencie aussi des yourtes
kazakhes par l’absence de pilier central, qui optimise l’espace.
Voyons les éléments de son architecture en détail :
En cours de montage : le treillis, le chambranle, et la première sangle tissée.
L’armature posée au sol est un treillis pliable de bois de
saule, circulaire, interrompu par le chambranle de la porte. Les lattes m'ont semblé maintenues entre elles par des liens en nerfs. Ce treillis est
peint en rouge, et reste apparent à l’intérieur, à la fois décoratif par ses losanges
et utile pour accrocher vêtements, armes, jumelles, sacs brodés, et sacoches…
"Kirghize" signifierait "rouge" et c'est la couleur de l’étendard de Manas, le héros légendaire de l'épopée nationale, dont nous reparlerons.
"Kirghize" signifierait "rouge" et c'est la couleur de l’étendard de Manas, le héros légendaire de l'épopée nationale, dont nous reparlerons.
Sur cette armature, vont s’articuler les longues perches de
la charpente dont l’amincissement et la courbure des bases rehaussent la
paroi murale, arrondissant la liaison au toit, et offrent ainsi son élégance à la
yourte kirghize. Au sommet les perches sont fixées sur un cercle de bois
sculpté, qui est devenu l’emblème du pays, reconnaissable par deux séries perpendiculaires
de trois sécantes.
De longues sangles tissées maintiennent le tout
comme des cordes. Une natte, colorée ou non, constitue la première couche,
tout autour du treillis. Ces sangles et cette natte sont apparentes elles aussi
de l’intérieur derrière les croisillons.
L’armature est ensuite recouverte de plusieurs couches de
feutre, enduit, ou protégé par une grosse toile tissée serré. Le sommet peut être fermé par un volet
de feutre et de toile, ouvert ou rabattu à l’aide d’une corde maniée de l’extérieur.
Le volet entrouvert et l'orifice pour le tuyau du poêle
La porte orientée à l’est peut être à vantaux de bois, mais
nous avons plus souvent vu un rouleau de feutre qui se coince par son seul
poids en position ouverte, et fait rideau en position fermée. Ce rouleau est décoré de motifs géométriques traditionnels.
Au sol, nous n’avons jamais vu de parquet, mais toujours des
tapis de feutre épais et des coussins colorés, qui laissent le seuil à nu, là
où vous vous déchausserez systématiquement. Vous pourrez rester en
chaussettes. Au fond sont empilées les grosses couvertures, cachées par une
tenture bariolée décorative, juste derrière la table basse rectangulaire,
autour de laquelle chacun s’accroupit.
Le poêle et le samovar
L'outre à koumis et... le nounours
A droite, en entrant, sont disposés le poêle dont le tuyau
bénéficie d’une ouverture dans le toit avec un intervalle libre, puis le
samovar ou la thermos, puis l’outre ou le tonneau à koumis, puis un petit
buffet ouvert pour la vaisselle chinoise, et les couverts rangées dans un bocal.
De ce côté aussi, le verre avec les brosses à dents de chacun. A gauche, les vêtements, et la sellerie, puis la chaîne stéréo toujours
chinoise, et parfois la « bibliothèque » où se range le Coran. A vrai
dire le Coran est très discret, je ne l’ai vu qu’une seule fois.
Sur le poêle, nourri de bouses sèches, chauffe une grande
bassine de lait, et la bouilloire du thé. Le thé n’est pas servi comme chez nous. La théière
contient en permanence une grande quantité de feuilles en granules, et n'est versé qu’une infime quantité de thé dans votre tasse ; on y ajoute
ensuite l’eau claire bouillante. La tasse ne sera jamais remplie à ras bord, ce qui
signifierait un congé, mais ne restera jamais vide non plus, et cela exigera l’attention
permanente de votre hôte et maints remplissages. Pour nous, c'était systématiquement cinq ou six tasses !
Sur la table, recouverte
d’une toile cirée, seront disposées avec art quantités de coupelles en verre
travaillé, remplies de bonbons, de gâteaux secs, de confitures variées
(abricot, framboise, cassis, argouse), de miel, de sucre, de crème et de beurre
à différents stades, de kourouts, à côté de bols, petits pour le thé, géants pour
le koumis. Au milieu trôneront les beignets et le pain, qui est le meilleur de toute
l’Asie Centrale.
Nous avons appris tardivement les égards réservés au pain,
et nous avons probablement contrarié involontairement nos hôtes : le pain
servi ne doit jamais être abandonné sur la table, mais consommé jusqu’à la
dernière miette, et surtout le pain ne doit jamais être déposé à l’envers sur
la nappe !
A la fin du repas, nous pensions (presque toujours) au
bénédicité musulman, passions nos mains ouvertes puis jointes devant notre
visage de haut en bas, en disant « Omin ». J’avais déjà un peu hésité
sur cette pratique dans le Pamir, et je ne sais toujours pas ce que signifie « Omin »,
ni comment l’écrire. Dans mon esprit, bien sûr, cela vaut tout à fait « Amen »…
La yourte est toujours accompagnée : yourte miniature pour les enfants (?), tente bâchée pour le stockage et le barattage, voiture plus ou moins luxueuse, parfois protégée, monticules de bouses, enclos, toilettes loin à l'écart.
Les yourtes se gardent toujours un vaste espace vital de plusieurs centaines de mètres alentour. Quand nous apercevions six ou sept yourtes regroupées en cercle, nous savions qu'il s'agissait d'un village pour touristes. Les yourtes se distinguent alors par une décoration et un ordre parfaits, l'absence de tout objet superflu et la présence de lits. Et les touristes, à juste raison, sont très satisfaits comme nous l'avons été par une nuit de forte tempête où notre petite tente aurait été bien malmenée, et nous aussi.
Les tapis de feutre à motifs traditionnels dans une yourte touristique
Beau et chaleureux - tout un art, mais y fait-il si chaud que cela à la saison froide?
RépondreSupprimerEffectivement, en hiver les nomades descendent dans les villages, où ils retrouvent leurs maisons. Parfois ils montent alors leurs yourtes dans leurs jardins. Je n'ai pas l'impression qu'ils fasse plus chaud dans les maisons !
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