AMÉLIE !
La contemplation des photos familiales
Le savoir-vivre, en nous
installant chez nos hôtes d’une heure, veut que nous nous présentions. Mais nos prénoms font un peu pauvres. Là-bas chacun fait partie d’un clan, et porte un nom qui
répertorie au moins celui de son père et de son grand-père. Chacun a une
origine géographique, et chacun s’inscrit dans l’Histoire grâce à l’Epopée de
Manas qui donne son identité culturelle au pays depuis l’indépendance. Tous les
kirghizes sont fiers de ce poème épique
qui chante les exploits du fondateur légendaire de la nation en vingt fois plus
de vers que l’Odyssée.
Une fois de plus, nous allions regretter d’être
muets, car les hauts faits de Lancelot et Perceval, nos chevaliers à nous, les
cousins de Manas, n’auraient eu aucun mal à séduire un auditoire acquis d'avance.
Manas trône à Bichkek
Nous nous contenterons de dire
que nous venons du bout du monde, le Finistère évidemment, et que nous vivons
sur les rivages de l’Océan. Dans nos esprits, l’Océan Atlantique était plus
prestigieux que la Manche que nous aurions appelée Channel…
Vu du Kirghizistan, vivre en regardant
le soleil se coucher dans la mer était en
soi très exotique, très aventureux, et presque fabuleux. Cet éclat rejaillissait sur nous.
Ensuite, nous passions
cérémonieusement à la présentation de notre clan. Notre clan est toujours resté strictement familial, même quand nos interlocuteurs espéraient y rattacher Messieurs
Jules Verne, Zinedine Zidane ou François
Hollande. Pourtant notre localisation maritime aurait dû m'inciter à choisir le
capitaine Némo comme aïeul naturel, et bénéficier ainsi de son aura toujours vivante
en Asie Centrale.
Il faut dire que je tirais parti de
sujets d'un grand intérêt dans mon proche entourage. Les
autres membres du clan familial vont certainement être jaloux, car seuls trois d’entre eux éveillaient
une curiosité, un étonnement ou une admiration systématiques et
répétés. Qu’ils se rassurent, ils
étaient quand même examinés en détail sur les photos, et suscitaient aussi des
questions, mais moi je n’écris pas un poème épique de 500.000 vers et je dois
faire court.
Voilà le clan : quatre générations
En premier lieu, Quentin était
celui que je ne pouvais renier. Quentin, c’était moi en plus jeune. Parfois
même Quentin était moi jeune. Et Quentin porte une attelle sur la photo, et
c’était peut-être dû à une chute de cheval ? J’ai dit non, puis j’ai dit
oui, parce que sinon c’était la déception. En Kirghizie, il est plus
prestigieux de tomber de cheval que de tomber de vélo, même BMX. Et traduire
BMX par бмкс, c’est pas sûr que ça marche. Bozkachi, c’est mieux !
Surtout
que c’est un mot persan, bâti sur boz, la chèvre, qui s’écrit بز
Manas, lui-même !
En second lieu, Daddy était à lui
seul un mythe presque aussi grand que Manas : atteindre 92 ans, avec une
telle bonne mine, faisait de lui un personnage de science-fiction. Souvent les
messieurs âgés qui s’intéressaient à mon âge personnel s’avéraient plus jeunes que moi, à leur grande surprise : leurs conditions de vie en altitude, et les hivers
rigoureux leur tannent et burinent le visage sans pitié. L’espérance de vie
n’est pas la même qu’en occident, et Daddy faisait figure de patriarche
exceptionnel.
Mais la star des stars, l’héroïne
digne de Manas, la fée Morgane exilée, c’était sans conteste Amélie !
Amélie focalisait l’attention d’emblée dès que je dépliais ma planche de
photos, et j’avais à peine le temps d’expliquer qu’elle était la femme de mon
fils aîné, la mère de mon petit-fils et de ma petite-fille, qu’il fallait
répondre à l’exclamation spontanée, pleine d’éloges sous-entendus, et d’espoir prometteurs :
" Elle est kirghize !!! "
C’était une telle joie, et un tel
compliment, que j’ai vite renoncé à détromper mes hôtes. J’ai fini par
confirmer que j’étais convié la semaine suivante à Tach Rabat dans la yourte des beaux-parents de
Jean-Baptiste… Merci, Brigitte et Claude, pour
cette occasion unique de découvrir votre généreux pays !
L'intérêt pour les photos
Vous serez toujours les bienvenus dans notre yourte !
RépondreSupprimerQuelle joie - et merci - de m'avoir fait vivre un instant une autre vie !
Effectivement, je suis un peu déçue de n'avoir pas suscité la curiosité des kirghizes...
RépondreSupprimerTu devines bien quelles questions tu suscitais.
RépondreSupprimerCompte tenu de ton âge, et de l'âge moyen des mariages là-bas :
"Pourquoi n'a-t-elle pas encore d'enfants ?"
Je n'avais pas la réponse !